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LES SIXTIES

Le Nouveau Franc a remplacé l'Ancien Franc le 1er janvier 1960. 1 NF = 100 AF. Cette conversion assez simple donnera lieu pendant des années à des quiproquos savoureux :  les petites sommes sont exprimées en NF et les grosses sommes restent en AF, pour faire plus riche. Et lorsque le 1er janvier 2002, le Franc laissera la place à l'Euro avec un taux de conversion un peu plus délicat de 6,55957F pour 1€, le problème sera vite résolu, les anciens prix deviendront les nouveaux prix. La vie sera simplement 6,55957 fois plus chère !

J'ai 12-13 ans et j'entends siffler le train de Richard ANTHONY, mon idole du moment. Ma soeur, de 10 ans mon aînée,  passe son temps à danser le bebop dans les caves de Saint-Germain-des-Prés et m'offre pour mon anniversaire mon premier 45t : "Hit the road Jack", interprété par un black aveugle du nom de Ray CHARLES. Je suis instantanément contaminé par ce virus qui nous vient des Amériques et dont je ne guérirai plus jamais : le Rock.
 
Je ne jure plus que par Eddie COCHRAN ("C'mon everybody"), Elvis PRESLEY ("His latest flame")  Buddy HOLLY (ah, les hoquets de Buddy dans "Peggy Sue" !!!), Gene VINCENT ("Be-bop-a-lula"), Ritchie VALENS ("Donna"), Chuck BERRY (l'incontournable "Johnny B.Goode"), Jerry Lee LEWIS ("Great Balls of Fire"), Carl PERKINS ("Blue Suede Shoes") et déjà un variant anglais, Cliff RICHARD et les SHADOWS ("Move it", "Apache").

Après la première vague, américaine, la deuxième vague, anglaise, se propage alors très rapidement et de façon exponentielle sous la forme de multiples mutants tous plus virulents les uns que les autres et qui ont pour nom BEATLES, ROLLING STONES, WHO, KINKS, ANIMALS, JETHRO TULL, YARDBIRDS (avec Jeff BECK, Eric CLAPTON et Jimmy PAGE, excusez du peu !) etc.

Le cuir du rockabilly cède rapidement la place au "blue-jeans", si possible avec Marilyn dedans ! Pour ceux qui n'étaient à l'époque même pas encore à l'état de projet, je précise que la première vision du blue-jeans que nous avons eue en France était celle de Marilyn Monroe dans le film "The Misfits". Nos yeux d'ados boutonneux se sont brutalement exorbités et il n'est pas sûr qu'ils aient encore réintégré leur logement premier... Une séance de rattrapage d'exorbitation est proposée en 1963 par Ursula Andress, première James Bond girl contre Dr. No, sortant de l'eau en bikini en peau de machin, mais on sort du sujet.

L'heure est alors aux choix existentiels : "t'es plutôt Beatles ou plutôt Rolling Stones ?", "t'es pour les Mods ou pour les Rockers ?", "tu préfères le rock british ou le rock US ?". 

Les radios françaises nous bassinent avec les yéyés. Y a bien "Salut les Copainsmais bon, les amours de Sheila et de Ringo, rien à cirer. On a parfois la chance de capter Radio Caroline, la radio pirate anglaise. Elle passe toute la musique qu'on aime.
 
La télé nous propose Albert RAISNER et son "Age tendre et tête de bois", MIREILLE et son "Petit Conservatoire" mais franchement, découvrir Jacky MOULIÈRE ou écouter Frank ALAMO ne suffit pas à calmer mes ardeurs. Par bonheur, il y a aussi "Bouton Rouge", une émission entièrement consacrée au rock, au vrai. Manque de pot, je suis en CPEM et ça passe le samedi après-midi à l'heure des cours. Le choix est difficile... et pas toujours le bon. J'y ai vu entre autres Jimi HENDRIX jouer "Hear my train a comin'" seul à la 12 cordes acoustique. Il savait jouer, le bougre, même sans wah-wah !

Les morceaux étaient généralement calibrés pour une durée moyenne de 2'30" pour pouvoir facilement être programmés à la radio. Et voilà t-y pas que les ANIMALS nous balancent "The House of the Rising Sun" en 1964 ? Un slow de 4'31" ! Une véritable aubaine quand tu arrivais à danser avec l'élue de ton coeur...

La beatlemania bat son plein. On veut tous se coiffer comme les BEATLES, porter les mêmes boots que les BEATLES, les mêmes costards que les BEATLES. On écoute "Love me do" et on devient dingue ! Je suis à Hastings, en Angleterre, en juillet 1966, au moment de la sortie de l'album "Revolver". Pas un cm² de la ville qui ne soit recouvert de la superbe pochette de Klaus Voorman. J'exagère à peine.
Cette même année, une rumeur secoue la Terre entière : Paul McCARTNEY serait mort dans un accident de voiture. Les indices ne manquent pas sur les pochettes d'Abbey Road et de Sgt. Pepper... (pour en savoir plus, clique ici). Et quand Mark Chapman assassine John LENNON à la sortie du Dakota le 8 décembre 1980, c'est la planète qui pleure...

Un jour de 1964, un copain débarque pour me faire écouter le 45t qu'il vient d'acheter. Ça s'appelle "It's all over now", par les ROLLING STONES, un groupe inconnu. J'ai 15 ans, les STONES ne me quitteront plus jamais ! Claude RANVAL, qu'il s'appelait, le copain ! (voir
Brain Arthrosis).

Le ciel me tombe sur la tête en 1966 quand j'entends l'intro de "Hey Joe" par un certain Jimi HENDRIX. C'est quoi, ce son de guitare ? Wah-wah, ça s'appelle ? Cet ingrat nous a quittés le 18 septembre 1970, nous laissant orphelins inconsolables...

Un peu plus tard, un pote de lycée (lui, c'était
Marc MILGRAM - voir Stone Age) vient dîner et m'apporte le 33t d'un groupe australien avec un guitariste taré en culottes courtes et un chanteur qui hurle à la mort. Le titre ? "Highway to hell". J'vous raconte pas la claque !

Chaque jour nous apportait un truc génial. Que du lourd, que du bon, que du jouissif. Quand je pense que maintenant ils ont Maître GIMS et les pulsations chiantissimes de l'électro ! C'est quand même ballot, non ?

Je rappelle à l'honorable lecteur que la musique était alors enregistrée en mono(phonie) (1 seule piste mélangeant tous les instruments) et on l'écoutait sur des "tourne-disques" (de marque Teppaz, of course). Le haut-parleur unique était généralement incorporé dans le couvercle. Il a même existé le "mange-disque" dans la fente duquel on glissait un 45t. On l'emportait à la plage et on le rapportait bourré de sable qui rayait joyeusement les précieux sillons. Une horreur !
 
Les disques, qui tournaient jusque-là à 78t/mn, cèdent la place aux "microsillons" tournant à 45t/mn (2 ou 4 titres, Ø17,5cm, gros trou central) ou 33⅓t/mn (une dizaine de titres, Ø30cm, petit trou central). D'autres formats sont proposés puis abandonnés : mini 33t, 33t Ø25cm, 16t Ø30cm. Des vinyles colorés ou imprimés voient également le jour. Le premier d'entre eux est "Animals" (PINK FLOYD). Il est rose, je me précipite dessus.

Les "tourne-disques" disposent d'un petit "changeur" central amovible qu'on installe pour s'adapter au diamètre de l'orifice du disque. Certains appareils permettent d'écouter plusieurs disques 45t à la suite au moyen d'un chargeur automatique. On empile les disques sur un axe central et ils tombent les uns sur les autres sur la platine. J'te raconte pas l'état des disques après plusieurs passages.

Les cafés se pourvoient d'un juke-box. Tu mets une pièce dans le machin et tu fais ch... tout le monde avec ta musique de beauf. Certains troquets vont alors équiper chaque table et là, bonjour la cacophonie ! Arrive ensuite le Scopitone, un juke-box qui joint l'image au son en accompagnant le morceau joué par un petit film. Naissance du clip.

Puis vient la stéréo(phonie), les disques sont gravés avec 2 pistes séparant en deux canaux distincts les instruments. Ce sont des éditions de luxe, plus chères et nécessitant un matériel onéreux avec deux enceintes séparées. C'est la Hi(gh)Fi(delity). On aboutit finalement à une solution mixte, moins "chirurgicale", la "gravure universelle", avec 3 canaux: schématiquement 2 canaux latéraux, séparant les instruments, et un canal central pour la voix. L'écoute est beaucoup plus confortable et c'est moins cher.

On sélectionne la vitesse d'écoute, on pose le bras porteur de la tête de lecture sur le premier sillon et c'est parti. Il faut changer le "diamant" régulièrement. Parfois, on heurte malencontreusement la platine, le bras saute en faisant un bruit sinistre, raye le disque et il te reste juste les yeux pour pleurer.

Pour mon 16ème anniversaire, mes parents m'offrent un cadeau de rêve : une platine stéréo de marque Thorens. C'est mon beau-frère qui est en charge. Il est titulaire d'une carte d'achat dans un magasin qui vient de s'ouvrir boulevard Sébastopol et qui vend du matos photo et audio à des prix défiant toute concurrence, réservé aux cadres. Pas sûr que ce bouclard ait de l'avenir !!! Il porte un nom bizarre : FNAC (Fédération Nationale d'Achat des Cadres). L'engin pèse une tonne, le couvercle se sépare en deux hauts-parleurs et je me pâme en écoutant mes disques dessus. Le bras se lève mécaniquement, minimisant ainsi les risques de rayures. C'est juste trop bien.

Les bras deviennent ensuite automatiques et les vitesses sont directement reconnues par le diamètre du disque. Puis Bang & Olufsen sort la première platine à bras tangentiel, un must... Inabordable.

On s'enregistre sur des magnétophones à bandes (Revox si on a les moyens) puis la "miniK7" de Philips arrive, révolutionnaire. Jusqu'à 120mn d'écoute recto-verso. Incroyable ! On peut repiquer les disques des copains et les écouter dans le lecteur de cassettes auto-reverse qui équipe dorénavant les auto-radios ! Et quand le PDG de Sony, golfeur fou de musique, invente le "walkman" pour pouvoir écouter ses cassettes sur les parcours, c'est carrément de la science-fiction !

Et le C(ompact)D(isc) pointe son nez. Révolution absolue. Plus de vinyles qui crachotent ou se gondolent, gain de place appréciable, conservation illimitée et solidité à (presque) toute épreuve, au prix d'une compression très honnêtement assez peu perceptible dans notre genre musical.

Un seul regret, le sacrifice de la pochette. Il faut bien comprendre qu'en achetant un vinyle 33t on achetait également une pochette, parfois véritable oeuvre d'art. On pouvait y trouver des photos, des textes, des paroles etc. Comment apprécier maintenant la pochette-cultissime du "Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band" (BEATLES), la fermeture-éclair mythique de "Sticky Fingers" (ROLLING STONES) imaginée par Andy WARHOL ou encore la photo relief mystérieuse de "Their Satanic Majesties Request" (ROLLING STONES) ?

Fin de la digression technique.

Je passe des heures à écouter l'intro de "Shine on you crazy diamond" (PINK FLOYD), je me shoote aux percus et aux "woo-woo" de "Sympathy for the devil" (ROLLING STONES), aux solos de batterie de "Little B" ("B" comme Brian BENNETT, batteur des SHADOWS), de "In-a-gadda-da-vida" (IRON BUTTERFLY), de "I'm a man" (CHICAGO TRANSIT AUTHORITY), de "Toad" (CREAM, un solo live de Ginger BAKER de 16'15, du jamais vu !!!).

J'ai la chance de voir RAY CHARLES à Pleyel, LED ZEPPELIN et les PRETTY THINGS, alors balbutiants, au bal de l'Ecole Centrale à Chatenay-Malabry, Jimi HENDRIX mettre le feu à sa guitare à l'Olympia (avec les ANIMALS en première partie, excusez du peu), les WHO promouvoir "Tommy" au théâtre des Champs-Élysées devant un mur de Marshall empilés jusqu'au plafond (Ahhhh !!! la veste de Pete TOWNSHEND taillée dans l'Union Jack, j'en ai rêvé). Quand je pense que j'ai raté les BEATLES en première partie de Sylvie VARTAN, à l'Olympia... Je ne m'en suis jamais remis.

Mai 68 passe par là. Il est interdit d'interdire...

C'est le temps des grands festivals (Monterey, Woodstock, l'île de Wight), de la "protest song" (Bob DYLAN, Joan BAEZ) et du "flower power" (Scott McKENZIE : ♬ if you're goin' to San Francisco, be sure to wear some flowers in your hair...♬). On achète un "harmonica holder"... Jimi HENDRIX marque sa désapprobation de la guerre du Viet Nam en massacrant le "Star-Spangled Banner". On lit "Best" et "Rock & Folk".

Le 3 novembre 1957, une chienne russe, LAÏKA, est le premier être vivant envoyé dans l'espace. Elle voyage en Spoutnik et mourra pendant le vol. Le 12 avril 1960, c'est au tour de Youri GAGARINE d'aller faire une petite balade en Vostok. Et le 20 juillet 1969, ce n'est plus Tintin qui marche sur la Lune mais les américains Neil ARMSTRONG et Buzz ALDRIN. Le monde entier est devant sa télé. Il est 2h56 GMT. "Un petit pas pour l'Homme, un grand pas pour l'Humanité". La science-fiction des années 40-50 est devenue réalité.

On porte des pantalons pat' d'eph' cachant complètement la chaussure, des chemises à fleurs à col démesuré ou à jabot, des tuniques indiennes et des gilets afghans, des platform boots, des bijoux en argent. On a les cheveux sur les épaules et la moustache tombante. On se sape en velours frappé orange, violet, vert pomme, bleu pétrole. On est "psychédélique" !

 

Le mouvement hippie a du bon (peace'n'love) mais malheureusement aussi du beaucoup moins bon (overdoses en tous genres... et pour répondre à la question qui te brûle les lèvres, non, désolé, je n'ai jamais fumé le moindre joint, j'avais trop la trouille...) voire du terrifiant (Charles Manson).

Acheter un disque est un véritable cérémonial quand on est un "teenager" :

  • il faut d'abord faire un choix car on ne peut pas tout acheter (les vinyles sont chers, une trentaine de francs pour un 33t, environ 5€ actuels !!!), puis aller chez le disquaire (Lido Musique, the best), fouiller dans les bacs en espérant que l'élu s'y trouve encore et sinon le commander, avec le délicieux et douloureux délai que ça suppose (Amazon n'existe pas encore !).

  • le must est de faire l'acquisition de la version "import", c'est-à-dire du pressage original (anglais ou américain). Plus cher, plus rare, mais pour emballer les gonzesses, beaucoup plus efficace que le pressage français ! Bon bref, moi j'avais pas les sous.

  • avant de se décider, on peut écouter le disque dans une cabine qu'elle est faite exprès. Par la suite, technologie oblige, l'écoute se fera au casque, devant les bacs.

  • on rentre ensuite at home, on explore amoureusement la pochette, on sort délicatement la galette de sa protection intérieure en la tenant des deux mains par les bords, on la pose précautionneusement sur la platine, on ôte les poussières éventuelles avec la brosse spéciale que l'on se doit de posséder (en allant toujours du centre vers la périphérie, déconne pas !), on respire un grand coup pour ne pas que la main tremble et on dépose religieusement le diamant sur le premier sillon.

 

Je ne voudrais pas passer pour un "archéopathe" (NdlR : néologisme perso à caractère hautement laudatif, destiné à remplacer le navrant et péjoratif "vieux con réac") mais c'était quand même plus émouvant que le streaming !!!

à suivre...

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